Vigo 2011 Épisode 02

Publié le par clarac

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Épisode 2

 

 

.      Le fêtard s’écarta du véhicule avec une moue irritée et le regard qu’il me jeta exprimait l’incrédulité outrée. Ce que je comprenais et qui m’amusais tout à la fois ; il est assez inhabituel, et carrément insolite, pour ne pas dire complètement illogique de voir débouler un type de son bloc d’hébergement en plein quartier universitaire et brandir une carte de la Sûreté et réquisitionner sous votre nez la voiture publique que vous convoitiez. Ce genre de scène s’imagine mal de ce côté-ci de la Névarine. Pour justifier l’usage d’un appartement dans ce coin-ci, plutôt cossu, auprès des technocrates de l’Habitât il fallait appartenir à l’un ou l’autre des laboratoires et avoir un statut d’étudiant chercheur. C’est-à-dire d’être redevable de ses périodes de service civique à l’Académie et accomplir ses missions dans l’Enseignement. Comme quoi la logique, avec moi, souffre toujours d’entorses douloureuses et alambiquées.

.      J’adressais un regard sévère à ma malheureuse victime que je spoliais de sa priorité d’usage avec mon bout de néoplast rouge et un sourire en coin à sa compagne qui me dévisageait avec stupeur et avec laquelle j’aurais aimé échangé plus qu’un regard.

— Navré citoyen.

.      L’homme s’écarta sans quitter des yeux le rectangle rouge et son logo chatoyant.

.      La portière se referma sur eux et m’isola du monde extérieur. Les vitres se polarisèrent pour me soustraire aux regards indiscrets sans me priver du spectacle de la rue devenue un dégradé irréel en noir et blanc. L’activation de mon Passe depuis la Chancellerie à l’instant de l’émission de mon ordre de mission et donc de ma mobilisation pour une période de service civil m’offrait quelques privilèges et me conférait une priorité insolente dont je tentais de ne jamais abuser, mais bon…

.      Aussitôt j’oubliais le fêtard lésé et sa compagne au décolleté appréciable.

.      L’hologramme du pilote du véhicule s’alluma et j’entendis les verrous des portières claquer. Le transpondeur de ma carte prenait le contrôle de l’engin et le réservait désormais à mon usage exclusif et cela jusqu’à la fin de ma mission. Je réalisais qu’en me précipitant je n’avais même pas prêter attention au modèle du véhicule ni à sa couleur ; avec ma chance du moment je venais de m’attribuer l’usage exclusif d’un vieux modèle bon pour le recyclage et à la peinture…

— Configuration du contrôle de réquisition achevé. Monsieur vous êtes connecté à la Baignoire.

— Merci, heu t’es quel engin ?

— Moi ? Mario, Farmer modèle Nova, soulagé ?

.      La proto Intelligence Artificielle s’exprima avec l’accent rude des pêcheurs de l’archipel et la pointe de sarcasme qui le caractérisait me fit pressentir aussitôt une relation complexe. Si je me sentais soulagé d’être tombé sur un des modèles les plus récent, en même temps je devinais que ce Mario possédait un caractère avec lequel la composition ne s’annonçait pas facile. Aussitôt j’adressais un juron silencieux au programmeur sadique de la Nova.

— Enquêteur Vigo Dunhill j’ai l’adresse de votre destination.

.      Avant que je puisse émettre le moindre commentaire, ne serait-ce qu’accuser réception de son information l’engin s’engagea de lui-même dans la circulation ralentie par la multitude des fêtards noctambules qui envahissaient les voies. Mon engagement avec la Sûreté ne tenait en rien chez moi avec une haute idée de l’ordre ou de la Loi, loin s’en faut. N’empêche que chacun de ces inconscients, en temps ordinaire, ne se serait jamais permis ce genre de comportements dangereux et irresponsables. Voilà comment cette fichue nuit affectait les gens, les désinhibait et les conduisait à mettre leur raison et leur conscience entre parenthèses sous la protection de l’obscurité pour se livrer à des expériences douteuses.

.      Convaincu de me diriger, comme d’habitude vers le siège de la Sécurité, la Baignoire comme nous l’appelions en raison de sa forme évocatrice, où comme à haque fois un permanent, un technocrate, me communiquerait mon dossier et mon profil de mission je contemplais les rues envahies par la foule et les hologrammes festifs qui changeaient le visage de la cité. Les distinguer en Noir et Blanc et nuances de gris créait une distance étrange qui me donnait l’impression d’admirer les tribulations d’une population exotique sur un autre monde. L’insouciance des gens me dépassait ; ne savaient-ils pas que d’ici quelques mois une nouvelle arche coloniale aborderait notre système solaire ? Ne voyaient-ils pas comment les politiques multipliaient les lois identitaires et entretenaient une idéologie nationaliste ? Comment faisaient-ils pour s’amuser avec cette insouciance irresponsable ? Ne se souvenaient-ils déjà plus de la guerre civile qu’Euskadia a connue la dernière fois ?

.      À moins que, justement, trop conscient des heures sombres à venir, en réaction inconsciente et collective toutes les classes d’âge s’abandonnaient aux dérives de cette nuit comme si c’était leur dernière occasion d’avoir l’impression de vivre…

.      Mon projet de recherche revint occuper le premier plan de mon esprit avec la conviction impérieuse que leur abandon provisoire condamnait la colonie au bain de sang. Alors que mon esprit recommençait à lier, tresser et tisser, les fils des rouages empoisonnés qui le torturaient. Du coin de l’œil je remarquais un détail qui me fit bondir. Malgré les ornements exubérants qui travestissaient les repères usuels je reconnus sans la moindre hésitation un mobilier urbain épargné par le vandalisme décoratif.

— Ce n’est pas la route de la Baignoire !

— Je sais ! rétorqua avec insolence Mario.

— Alors qu’attends-tu pour prendre la bonne route ?

— Mais je suis sur le bon itinéraire, je ne me trompe jamais et je n’aime pas votre ton.

.      Incroyable, je me faisais remettre à ma place par une machine ! Alors que je m’apprêtais à lui rendre la monnaie…

— Nous irons ensuite si vous le désirez toujours ; je me contente d’obéir aux directives selon leurs codes de priorité donc je me rends là où on exige que je vous conduise. Mais si vous acceptiez la communication qui m’irrite les capteurs depuis que vous m’avez réquisitionné. Vous aurez, je pense, des informations qu’on ne daigne pas confier à une machine.

.      Son ton sarcastique et insolent m’arracha un soupir de frustration ; je devrais me coltiner ce Mario jusqu’au bout de cette histoire maintenant… Bien décidé à ne pas me laisser faire, à lui monter qui commandait ici je dédaignais sa suggestion.

.      Quand le logo de la Sûreté s’était affiché sur mon hologramme domestique avec le mot « actif » qui clignotait je me savais en mission et comme d’habitude j’étais passé en mode « agent » et filé tout droit dehors vers le premier véhicule public pour me rendre à la Baignoire pour recevoir mes ordres. Jamais jusqu’ici les technocrates permanents qui me sollicitaient n’avaient jugé utile de s’entretenir avec moi avant que j’arrive à eux. Une manière, je suppose, d’affirmer leur autorité.

.      Alors l’idée qu’ils bouleversent leurs habitudes ma laissa perplexe et tira dans un coin de mon esprit une sonnette d’alarme inconsciente. Sur le coup j’attribuais cette exception au sous effectif conséquent aux festivités en cours… sans me convaincre.

— Ce ne doit pas être important, allons à la baignoire, on avisera sur place.

— À ma connaissance la Chancellerie est prioritaire sur la baignoire, fais-je erreur ?

.      La Chancellerie ? Mario sentit ma tension car aussitôt l’intensité lumineuse de l’habitacle s’abaissa pour créer une atmosphère plus paisible. Tandis que dans mon esprit je maudissais la machine, une bouffée d’angoisse, et de curiosité, m’inonda.

— Ouvrez-moi ça alors.

.      Alors que je disais cela je me trouvais bien pitoyable…

.      L’hologramme s’étendit avec le logo de la sûreté qui à peine épanouit s’estompa pour afficher le symbole officiel de notre colonie. L’étoile à quatre branche sur fond noir apparut et s’effaça avant d’avoir achevé une seule rotation sur son axe pour dévoiler le visage d’une jeune femme brune fardé, coiffé avec soin et dans une robe de soirée immaculée et sobre, comme il se doit.

— Enquêteur Vigo Dunhill ?

.      Sa voix se teintait d’une autorité naturelle que j’associais mal à ses traits. En arrière-fond j’entendais la mélodie convenue d’un bal de réception à peine étouffé.

— Oui Madame.

— Nous avons une urgence il nous faut un enquêteur accrédité et assermenté pour établir un constat officiel.

.      À son ton et à son regard j’avais l’impression qu’on me mobilisait juste pour satisfaire une banale formalité administrative et je trouvais cela insultant et culotté.

— N’importe quel agent, même un stagiaire, peut accomplir cette tâche…

— Pas pour une affaire avec une classification de « crime de sang », vous connaissez la procédure en la matière ?

— Bien sûr, un crime de…

— Tâchez de m’avoir classé cette affaire pour l’aube. Vu qu’il n’y a pas de corps ça ne devrait pas être un gros problème. Compte tenu de sa nature nous sommes obligés de mobiliser l’enquêteur d’astreinte du secteur et c’est vous, navré.

— Pas de problème.

— Je n’en doute pas. Exceptionnellement vous devrez adresser votre rapport à la Chancellerie et pas à Sûreté.

— En quel honneur ?

Ma remarque ne convint pas à cette femme qui n’envisageait même pas qu’on puisse l’inviter à justifier ses ordres et sa surprise s’afficha sur son visage. Or je devinais que cette femme n’évoluait pas dans la sphère de l’élite administrative sans ressources ni talent pour reprendre d’un tour de main le contrôle d’une situation.

— Rien d’important, probablement une erreur, mais l’information que vous infirmerez sans aucun doute place cette enquête sous ma juridiction. Vous voyez, juste un détail administratif. Faites vos constatations habituelles et transmettez-nous votre rapport et vous pourrez rejoindre vos amis avant l’aube si vous faites vite pour finir cette nuit en beauté comme il se doit…

— Personne ne m’attend, j’ai tout mon temps madame. Puis-je prendre connaissance du « détail » que vous évoquez ?

.      Cette fois je la sentis désarçonné et il lui fallut une paire de seconde pour se recomposer une contenance.

— Comme je vous le disais il s’agit sans aucun doute d’une erreur. Le renifleur qui a découvert la scène de crime a transmis une analyse préliminaire inhabituelle.

— Pardon ?

.      Cette fois c’était moi qui cédais à la surprise et je perçus aux plis de ses yeux sa satisfaction.

— Qu’entendez-vous pas inhabituelle ?

— Comme je vous disais il ne peut s’agir que d’une erreur ; nous n’avons plus dans notre colonie de clone.

— Depuis presque deux siècles, je sais ; où est le rapport ?

— La victime serait de groupe sanguin « C ».

Impossible ! Voilà la seule pensée qui mon cerveau parvint à formuler…

 

à suivre....

 

Sébastien Clarac

 

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MAJ 30/01/2012

 

 

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